Hérault : le Moulin de Pézenas
Le concept « Pierres d’Histoire » dont fait partie le Moulin de Pézenas réunit une collection d’adresses privées : hôtels particuliers, hameaux, pigeonniers, manoirs, orangeries, écuries, moulins… pour voyager autrement et hors du temps.
Reportage : Texte/Dany Antonetti – Photos/Gérard Antonetti © Juillet 2025
Le Moulin de Pézenas ? Un endroit unique sur les rives de l’Hérault que même l’indispensable « Waze » n’arrive pas à bien situer ! Pourtant, après quelques errances infructueuses – dans le centre de Pézenas puis dans les vignes environnantes sur des chemins de terre – suite à ses indications erronées… nous arrivons enfin devant la grande grille de fer forgé du parc grâce au positionnement GPS beaucoup plus fiable ! On comprend alors que cette discrétion dans la signalisation est peut-être voulue : ne pas trop mettre en exergue la destination qui ne se veut pas éligible à la notoriété ! « Pierres d’Histoire » en restaurant ce moulin sur la commune de Conas (à moins de 3 km du centre historique de Pézenas) a voulu en garder le caractère « secret » réservant l’approche de ce lieu extraordinaire – inscrit au Patrimoine Français – à ses hôtes privilégiés !
Nous allons passer un week-end, hors du temps, bercés par la douce musique du fleuve Hérault qui, en cette période estivale (nous sommes en juillet) coule paisiblement… Mais celui-ci peut aussi se montrer menaçant notamment lors « d’épisodes cévenols » qui suscitent des crues effrayantes ! D’ailleurs, le moulin est conçu architecturalement depuis bientôt 9 siècles pour faire face à ces colères subites du capricieux cours d’eau !
Le portail franchi, on se retrouve sur une allée de platanes centenaires apportant la fraîcheur au farniente « chaise longue » qui s’impose… Lauriers roses en fleurs, figuiers, pins d’Alep… chant des cigales… et la rivière à nos pieds avec accès privé pour une baignade rafraîchissante dans les eaux limpides d’une piscine naturelle. D’ailleurs, même les chevaux apprécient la trempette : nous les avons surpris de la terrasse en train de barboter !
Les portes du moulin ont été chinées dans des anciens chais, clin d’oeil au patrimoine viticole de l’Occitanie. Passé le hall d’entrée avec son évier de marbre, on accède à la pièce à vivre qui côtoie un mobilier contemporain et des objets patinés par le temps. Les fenêtres s’ouvrent sur la rivière et pour magnifier le décor, une immense terrasse donne directement sur le fleuve ! Deux chambres romantiques (avec leurs salles de bain privées) complètent le rez-de-chaussée. A l’étage, un autre appartement indépendant offre trois chambres supplémentaires. En fait, l’intérieur du moulin a été imaginé comme une grande maison familiale où se retrouveraient parents, fratries, mais aussi groupes de travail, groupes d’amis… Nous avons convié nos amis « bikers », Odile et Hervé, venus de la Drôme Provençale pour nous accompagner dans cette immersion dans le passé ! Leurs belles américaines de la gamme « Indian » ont apprécié être immortalisées devant le bâtiment !
De nombreux conseils d’amis, de sites web… faisaient l’éloge des restaurants alentour… étoilés ou pas… mais nous, les étoiles, nous les avions dans ce ciel héraultais, sur cette grande terrasse où le chant des cigales, la nuit tombée, fait place au croassement des grenouilles… Il n’était pas question d’aller dîner en ville ! Nos deux soirées se sont déroulées autour du BBQ mis à disposition avec allume-feu et charbon de bois… Il faut noter la discrète présence de la maîtresse de maison, Babette, toujours disponible sur son smartphone, souriante et professionnelle pour ses convives. Rien ne manque aux indispensables de la cuisine : capsules de café, tisanes et thés, huile d’olive, vinaigre, sel, poivre… Il en va de même pour l’équipement des salles de bain et des chambres…
Le week-end passe très vite dans cette atmosphère campagnarde chic et voici qu’il faut déjà remettre en marche les moteurs vrombissants des motos comme celui, moins bruyant, de la voiture… La grille se referme sur nos véhicules, nostalgiques… déjà ! Infos et Réservations : pierresdhistoire.com
Un peu d’histoire…
Des ruines d’un moulin médiéval… à une demeure de charme contemporaine
Le Moulin de Conas était jadis un moulin à blé. Etabli sur la rive droite de l’Hérault, en aval de la ville de Pézenas. Il s’inscrit dans la longue série des « Moulins de l’Hérault » : en 2018 on en comptait une dizaine dans le cours supérieur du fleuve, et vingt-huit encore conservés dans la « moyenne vallée » ou « basse vallée ». Ces moulins ont été édifiés dès le 12ème siècle et présentent des dispositions architecturales (tours et chaussées) souvent similaires, pour les protéger de la nature capricieuse du fleuve qui les alimente. Ils comportaient entre deux et six meules suivant les époques. Celui de Conas était destiné à l’usage de ses habitants, et peut-être plus largement à ceux des campagnes environnantes où la culture céréalière, et notamment du blé, était majoritaire. Les locaux venaient y faire moudre leur grain moyennant une redevance ou un impôt dûs au seigneur.
Lorsqu’en 2014 « Pierres d’Histoire » en devient propriétaire, le moulin était dégradé et avait subi quelques transformations disgracieuses. Inhabité depuis près de 100 ans (sa dernière utilisation remontait à 1918) il avait été maintenu hors d’eau ce qui permit de sauver l’essentiel. Après une campagne de restauration exceptionnelle lancée en 2016, il renaît de ses cendres et acquiert l’inscription aux « Monuments Historiques »
Maçons, charpentiers, couvreurs… se relayèrent pendant plus d’un an et demi sur le chantier. Des matériaux traditionnels furent choisis en cohérence avec l’histoire du moulin : la chaux et la pierre coquillière du Gard, une roche sédimentaire qui laisse apparaitre de nombreux fossiles des coquillages. Pour la décoration, les tonalités claires et lumineuses ont été privilégiées, l’utilisation du lin et des cotonnades brutes pour le linge de maison évoque encore davantage la tranquillité et la légèreté des « vacances dans le Midi».
La terrasse sur le fleuve a été rétablie en l’appuyant sur les fondations du moulin d’origine. En période de crue, l’accès se révèle particulièrement difficile et la mise en place de l’alimentation électrique a constitué l’une des difficultés majeures de la restauration. Dans le passé, seul l’étage avait été habité.
Pézenas « Grand site d’Occitanie » placé sous le culte de Molière !
Evidemment, même si l’on n’a pas envie de franchir le portail du moulin et si s’installe en nous la « flemme » méditerranéenne, une escapade s’impose à Pézenas qui compte plus de 30 immeubles inscrits ou classés « Monuments Historiques » dont de nombreux hôtels particuliers. Des artisans aux échoppes colorées investissent les ruelles pavées : potiers, peintres, céramistes, décorateurs sur verre, outils forgés, antiquaires et brocanteurs… Il y a vraiment beaucoup de monde, en ce samedi 19 juillet sur le grand marché traditionnel réputé dans toute la région et qui a lieu depuis… 600 ans !
Mais ici, le personnage chéri de tous est bien Jean-Baptiste Poquelin passé à la postérité sous le nom de Molière ! En effet, l’histoire remonte à plus de trois siècles ce qui n’empêche pas le génial auteur d’y être omniprésent : lors de tournées en province, Molière et sa troupe de « l’Illustre Théâtre » firent plusieurs séjours à Pézenas (entre 1653 et 1654) sous la protection du Prince de Conti, Gouverneur du Languedoc et 3ème personnage du Royaume de France. Dans la boutique du barbier Gély, il peaufinera ses personnages… Cette même boutique qui abrite aujourd’hui le Musée Bobby Lapointe, auteur-compositeur, acteur, lui-même natif de Pézenas où il mourut en 1972 à seulement 50 ans. Bobby Lapointe est connu pour ses chansons déjantées comme « Aragon et Castille » ou « La maman des poissons ». C’était, par ailleurs, un ami de Georges Brassens… Trois siècles séparent ces deux célébrités de Pézenas unies par ce lien peu banal…
Marcel Pagnol déclara en 1947 lors d’un discours à Pézenas : « C’est sans doute parce qu’il trouvait enfin le calme de l’esprit et du coeur que Molière se mit à flâner, à rêver, à observer et c’est alors qu’il vint s’asseoir pour la première fois dans la boutique du barbier Gély qui devait devenir aussi célèbre que son petit-fils Figaro… C’est là que Molière s’est orienté et qu’il a découvert la voie de son génie… Je dirais avec une sincérité audacieuse : Jean-Baptiste Poquelin naquit à Paris en l’an 1622, mais c’est à Pézenas, en 1650, que Molière est né ».
Connaissez-vous le « Petit Pâté de Pézenas » ?
A Pézenas, il n’y a pas que Molière et Bobby Lapointe… Il y a aussi le « Petit Pâté » spécialité gastronomique locale : une confrérie du fameux mets a même été créée en 1991 qui veille à sa promotion comme à défendre sa recette « exotique » ! Un certain Lord Robert Clive séjourna trois mois à Pézenas en 1768 après avoir été Gouverneur du Bengale… Selon la légende son cuisinier, venu des Indes y aurait créé le petit pâté à base d’épices indiennes… Et depuis, la recette aurait été transmise aux boulangers de Pézenas le consacrant « emblème régional ». C’est un cylindre de pâte brisée farci de viande d’agneau assaisonné de saindoux, cassonade, citron, noix de muscade, cannelle et jaune d’oeuf. Il est refermé par un couvercle de pâte brisé qui lui donne un aspect rigolo… A déguster en apéro avec les vins muscats de l’Hérault !
Entretien avec…
Dominique Imbert, créateur du concept « Pierres d’Histoire »
Dominique Imbert est un entrepreneur mais aussi un homme de terrain amoureux du patrimoine français. Nous avons voulu savoir comment lui était venue l’idée de ces hébergements atypiques qui gardent l’authenticité des vieilles pierres tout en s’adaptant au confort moderne ?
– « C’est en Écosse, dit-il, au milieu des collines verdoyantes et des moutons en liberté, que l’idée de « Pierres d’Histoire » a germé. Invité par des amis britanniques à un week-end au Old Place of Monreith, je vis des instants magiques dans un petit manoir restauré par le Landmark Trust, une organisation qui a eu l’idée géniale de transformer des lieux historiques en lieux de villégiature. De retour en France, j’étudie le concept de près et m’aperçois qu’il rencontre un très grand succès… Parallèlement, j’ai restauré pour moi-même une maison d’architecte des années folles. J’ai ensuite fait des rencontres avec des personnes qui avaient dédié leur vie à des propriétés et en avaient fait de véritables bijoux. La conjonction de ces trois éléments m’a donné envie de mettre mes compétences de chef d’entreprise au service d’une cause que je trouvais juste et belle : « Pierres d’Histoire » était né !
Comment vous positionnez-vous dans l’hôtellerie traditionnelle ?
– « Pierres d’Histoire exploite des propriétés historiques après les avoir restaurées. Nous vendons des séjours ou des évènements dans des lieux plutôt haut de gamme mais pas « de luxe ». Nous ne sommes pas dans le monde du « show off », mais dans celui de l’authenticité, de la beauté, de la noblesse des matériaux, de la tradition. A l’intérieur de nos maisons, nous offrons un niveau de confort digne des meilleurs hôtels. Grâce à un parcours largement digitalisé, les séjours de nos clients se font en autonomie. Nous leur offrons des services grâce à des prestataires locaux, par exemple des petits déjeuners ou des livraisons de repas…Nos clients aiment rester dans nos maisons : ils s’y sentent chez eux ! Nous croyons profondément que le patrimoine n’a de sens que s’il est partagé et vécu. C’est cette conviction qui nous guide dans chacune de nos restaurations. Notre mission essentielle : préserver, restaurer et sublimer des lieux chargés d’histoire tout en les inscrivant dans une nouvelle dynamique. En offrant à nos hôtes des séjours d’exception, nous leur donnons l’opportunité d’entrer dans un récit, de ressentir l’empreinte du passé et de créer à leur tour des souvenirs inoubliables ».
Tenez-vous compte des enjeux du « tourisme durable » du 21ème siècle ?
– « Pierres d’Histoire s’attache à redonner vie aux trésors du patrimoine tout en intégrant les enjeux contemporains du tourisme durable. Chaque projet repose sur une approche globale : soutien à l’économie locale (création d’emplois), partenariats de proximité, engagement en faveur de l’aménagement durable des territoires, promotion de la mobilité douce avec la mise à disposition de vélos pour les clients… Notre démarche est écoresponsable (utilisation de produits d’accueil et de produits d’entretien labellisés bio, d’ampoules basse consommation, d’économiseurs d’eau)… La transition écologique est au cœur des rénovations, privilégiant des matériaux d’origine ou recyclés et des techniques respectueuses de l’environnement.
Enfin, la préservation et la valorisation de la biodiversité dans les parcs et jardins de nos demeures font de Pierres d’Histoire une alternative responsable et engagée à l’hôtellerie traditionnelle. Le groupe s’engage également activement pour la défense du patrimoine en reversant une contribution sur chaque séjour à la Fondation Mérimée (reconnue d’utilité publique) pour l’aider à engager des actions de sauvegarde des monuments historiques classés et inscrits, publics ou privés ».
Que représente, aujourd’hui, Pierres d’Histoire en capacité hôtelière ?
– « Un patrimoine de 10 propriétés – surtout en Ile-de-France et en Normandie – qui va de la maison familiale, comme le Moulin de Pézenas, à des tailles plus grandes comme le dernier-né (Mai 2025) le Domaine de Richebourg (Yvelines) offrant une capacité de 23 chambres. Leur point commun ? Avoir été sauvées de la destruction… Ce sont des destinations secrètes et rares, véritables bijoux du patrimoine français, choisies pour la beauté de leur site, leur architecture et leur histoire. »
Comment avez-vous déniché le Moulin de Pézenas ?
– « Nous cherchions, dans le Midi, des lieux où il y avait du tourisme… nous sommes tombés devant l’édifice qui menaçait ruine. Ce fut un véritable coup de coeur ! ».
Vos projets immédiats ?
– « Nous recréons totalement notre site web qui sera beaucoup plus lisible et attractif dès la rentrée. Nous avons aussi de grandes ambitions concernant notre développement car les retours positifs de nos hôtes nous encouragent dans notre démarche de sauver, toujours un peu plus, notre patrimoine français ! ».
Recueilli par Dany Antonetti