Nous avons rencontré Claude et son épouse à table, quelque part au Québec du Sud ! Un petit-déjeuner nostalgique dans une maison d’une autre époque où nous n’étions que des passants… C’est cette atmosphère surannée – anglo-saxonne début XXème siècle – que notre convive et lecteur a pris plaisir à retracer. Nous lui laissons la parole :
« Une maison blanche, dans un village de frontière perdu dans la forêt, son lac et ses montagnes altières, mais à l’ombre protecteur du grand clocher d’une étonnante église de briques, ocre brun clair, qui écrase, par sa masse imposante, cathédrale virtuelle avec sa verrière venue de Londres, le petit bourg d’anciens ouvriers de la forêt.
À l’entrée de l’auberge, une dame solitaire, quasi étonnée, accueille le visiteur de passage et accepte l’hébergement de la nuitée. Elle monte lentement l’escalier, en hésitant encore, un peu incertaine de ses nouveaux locataires, puis se dirige vers la chambre Victoria qu’elle nous assigne à l’étage, et nous fait visiter la salle des commodités. La parole est rare, succincte. Elle donne, à chacun, ses serviettes, avec la consigne de ne pas utiliser toutes celles qui abondent et jaillissent de partout, de toutes les formes, les couleurs, enroulées les unes dans un panier, comme si elles dormaient sagement ou les autres, déposées sobrement sur des tablettes dispersées, si jamais madame attendait d’autres visiteurs. Dans la chambre proprette, les murs sont garnis de souvenirs de famille et de porcelaines anglaises aux motifs fantaisistes d’un intense bleu antique, de multiples formes et usages, en position d’apparat et rangées successives, sur les quatre murs, tel un musée des meilleurs jours. On y trouve là, prêts à servir, services de thé, soupières, assiettes de la tablée du dimanche. Il y a également ces fascinantes horloges, petites et moyennes, d’un âge certain, début de siècle, bien installées, figées dans le temps, celui d’hier, quand la vie devait s’épanouir, se précipiter dans une jeunesse plus turbulente.
Et ce portrait d’homme d’âge mûr, avec sa moustache de fantassin, sa casquette de capitaine qui surveille l’horizon avec nonchalance, serait-il un mari disparu et le contremaître des chantiers d’antan ? Puis tout près de lui, le fiston, fier dans l’attirail du hockeyeur sur la patinoire, qui nous rappelle bien que l’hiver, ici, connaît de belles périodes de glace !
Pour le curieux de passage, la salle de séjour impressionne par sa quantité de meubles fin 19ème, de bois de noyer sculpté, de bibelots épars mais connaissant chacun leur place depuis des années ou de lampes fantaisistes qui attendent de diffuser leur lumière éparse. Qui ose s’aventurer ici risque bien de renverser quelques reliques chères.
Au petit-déjeuner austère, où chaque part d’aliments semble bien pesée depuis la veille, le petit chien Yorkshire Terrier, indifférent puis renifleur, observe depuis sa nacelle d’osier – reposant sur un édredon artisanal – emplie de minuscules peluches et jouets de nourrisson. Les invités rompent le silence qui pèse sur la maison et tentent de se connaître, alors que la logeuse s’impatiente que les assiettes se vident, pour retrouver la tranquillité rompue.
Alors que cette maisonnée nous semble chargée d’un passé glorieux, à la mémoire de ces Loyalistes fuyant la Révolution, rien ne parle plus de l’avenir d’une héritière qui s’est perdue à la surface du monde et attend toujours le rapatriement au pays de Galles, cent ans plus tard.
En attendant ce jour faste, la logeuse refait la propreté des lieux, elle replace chaque souvenir dans son alcôve secrète. Puis elle blanchit chaque surface à l’image de son âme contenue. Ma maison se nommera toujours, pense-t-elle, l’Auberge Blanche, la seule digne de ce nom dans tout le comté et peut-être même du pays.
Claude Jolicoeur/Montréal, Québec/Août 2006